Uberisation : un observatoire pour comprendre et innover

12 décembre 2016

 

Grégoire Leclercq est Directeur Relation Client chez EBP, et préside la Fédération des Auto-entrepreneurs. C’est dans ce cadre qu’il a créé l’Observatoire de l’Uberisation.

Grégoire, vous êtes responsable de l’Observatoire de l’Uberisation : pourquoi avoir lancé un tel observatoire en France ?

Nous sommes partis d’un constat simple : l’Ubérisation est un phénomène indéniable, puissant, inexorable, qui semble tout emporter sur son passage. Mais il pose de nombreuses questions : comment le définir vraiment ? Est-il créateur de valeur ? Destructeur d’emplois ? Peut-on le réguler ? Est-il un véritable levier de croissance ? Nos décideurs sont-ils prêts à l’accompagner ?

C’est pour répondre à toutes ces interrogations qu’est né l’observatoire, association indépendante regroupant startups, grandes entreprises, chercheurs, universitaires, parlementaires, travailleurs indépendants et syndicalistes.

On confond souvent Uberisation et consommation collaborative ; quand on les distingue, c’est souvent pour souligner le côté « obscur » de la 1ère …

L’uberisation comme l’économie collaborative sont des révolutions puissantes, fruit de la convergence de 3 mouvements de fond :

  • la révolution digitale, arrivée à maturité (l’accès à l’ADSL, à la 4G et aux smartphones s’est démocratisé), et puissante dans ses aspects BigData, IOT, Algorithmie et intelligence Artificielle
  • les profondes modifications des modes de consommation : le consommateur digital est exigeant, pressé, ne supporte plus d’attendre, partage tout, veut de la transparence et un accès à la notation. Pour lui, la réactivité et la simplicité priment sur la notoriété de la marque.  Cette évolution est amplifiée par la digitalisation bien sûr, et par la préférence de l’usage à l’achat d’un actif
  • le développement du recours au travail indépendant et de manière générale aux nouvelles formes de travail, qui favorise l’émergence d’indépendants capables de produire du service à la tache, à la mission, à l’heure…

Les deux premières révolutions sont le terreau de l’économie collaborative, secteur où tout se passent entre consommateurs.

Vous additionnez à cela la troisième révolution (une mission réalisée à but lucratif) et vous avez tous les facteurs déclencheurs de cette révolution « Uber ».

On trouve la définition de l’uberisation la plus commune dans le Petit Robert : « déstabiliser et transformer un secteur économique, avec un modèle économique innovant, en tirant partie des nouvelles technologies ».

La consommation collaborative n’a de collaborative que la mise en relation de particuliers via la plateforme, qui agrège de l’information, de la valeur, des commissions. C’est cette « mise en commun » d’informations qui justifie le qualificatif de « collaboratif », mais nous ne sommes jamais passés à l’étape de « partage de la valeur », qui rendrait tout son sens à l’économie collaborative.

L’uberisation est souvent ressentie comme destructrice d’emplois et travail précaire ; certains y voient l’aboutissement du libéralisme le plus sauvage …

Les points de vue excessifs sont souvent insignifiants, comme disait Talleyrand… Oui, l’ubérisation porte en elle une contradiction : elle est créatrice de valeur, souvent de revenus, et levier fort d’insertion sociale pour les populations qui accèdent à l’activité. Mais il est vrai qu’elle est aussi destructrice d’emplois dans l’économie traditionnelle, et favorise un travail précaire au sens où les conditions de travail des indépendants sont largement améliorables…

Il serait facile et convenu de s’abriter derrière la destruction créatrice de Schumpeter. Il faut allr plus loin, et 3 scénarii sont possibles :

  • soit on laisse faire, de façon ultra libérale et cela a pour conséquence la destruction rapide de l’économie classique
  • soit on prend le parti d’en tirer le meilleur en instaurant le dialogue entre les entreprises « uber » et les entreprises traditionnelles et en faisant co-exister les deux économies ;
  • soit on stoppe tout en multipliant les contraintes et les interdictions, ce qui n’est pas une solution d’avenir, notamment parce que cela brisera dans l’œuf les startups et les poussera hors de nos frontières.

La consommation collaborative permet via le crowdfunding à une nouvelle économie de s’établir : est-ce le côté vertueux de la consommation collaborative ?

Oui, c’est un des leviers les plus vertueux de la consommation collaborative : permettre l’émergence d’une nouvelle économie, de nouveaux acteurs, de nouveaux modèles qui puissent s’affranchir des systèmes de rente, de barrière à l’entrée dressées par les acteurs préexistants. C’est la grande revanche de la jeunesse sur les modèles installés.

Mais c’est aussi un paradoxe fort : en s’affranchissant de ces intermédiaires classiques (la banque pour poursuivre l’exemple), les nouveaux acteurs croient s’affranchir de tous les intermédiaires, et « desintermédier » les systèmes, ce qui est faux. Ils font émerger d’autres formes d’intermédiaires (la plateforme) qui instaure à son tour un monopole de fait là où il y avait un monopole de droit. C’est toujours meilleur pour le consommateur au départ, mais à terme, c’est une menace à considérer sur le prix, la qualité, la disponibiliité…

Au-delà des Uber et Airbnb, c’est toute une génération d’autoentrepreneurs qui s’organise : va-t-on vers un nouveau système social, surtout avec les générations Y et Z ?

Effectivement, en 2015, 120.000 autoentrepreneurs ont réalisé au moins une mission pour les plateformes, et cette collaboration représentait en moyenne 40% de leur chiffre d’affaires. C’est un phénomène de masse qui pose de nombreuses questions :

  • d’abord, notre société peine à créer des emplois stables en CDI, et le travail indépendant reste la première porte de sortie pour de nombreux citoyens, qui trouvent plus facilement un client qu’un employeur
  • ensuite, cela nécessite de repenser la protection sociale. L’émergence d’un million d’auto entrepreneurs travaillant à la tâche ou à la mission doit nous interroger sur la couverture sociale à leur proposer (santé, mutuelle, ATMP, congés payés, chômage, retraite), d’autant que ces travailleurs se professionnalisent. L’activité « uber », au départ complément de revenu devient pour certains une activité à 100%.
  • enfin, cela pose le sujet de la maturité de la société face à un modèle salarial essoufflé et des professionnels indépendants qui peuvent vouloir emprunter, se loger, devenir propriétaires…

Uber et Airbnb sont devenus des géants, on parle d’eux comme de nouveaux GAFA : tout semble aller de plus en plus vite. Comment les entreprises doivent-elles s’adapter à « l’uberisation » de l’économie ?

Nous sommes dans une société de consommation. Jusque là, pour vendre un produit et rassurer le client sur sa qualité, on mettait en place des labels, on exigeait des qualifications, le respect des normes… Aujourd’hui, la donne a changé : la note que vont donner les consommateurs va primer sur tout le reste. Cette « tyrannie de la note » pour un restaurateur, se traduit concrètement par la pression que Tripadvisor fait peser sur lui, tant son audience est importante. Il faut bien avoir conscience de cela : le premier levier pour les entreprises « uber » c’est la satisfaction et le soutien du client, le « client centricism » porté à l’extrême.

Les entreprises traditionnelles qui ne se remettaient plus en question, innovaient peu et laissaient se dégrader leurs produits, sans voir les insatisfactions et attentes nouvelles des clients ont du souci à se faire. Mais les clés de compétition sont simples :

  • une politique plus tournée vers la demande des clients
  • des partenariats intelligents avec les plateformes (voyez le cas de Stuart avec la Grande Distribution)
  • des rachats de startups innovantes
  • des labs internes pour tester de nouveaux codes, de nouveaux moyens de conquête…

Aller plus loin…

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