On ne se méfiera jamais assez des chiffres, même lorsqu’ils proviennent d’instituts publics très sérieux comme l’Insee ou qu’ils sont publiés par des organismes tout aussi conséquents que l’Ocde.
Les Français sont des fainéants – du moins à en croire la rumeur publique : pourtant selon justement l’Ocde, un Français disposant d’un emploi travaille 1472 heures par an contre 1713 pour un Japonais … mais seulement 1363 pour un Allemand. Les plus besogneux sont les … Mexicains, avec 2252 heures annuelles !
Travailler moins garantit-il un taux d’emploi élevé : c’est vrai que celui-ci s’élève à 75,1% outre-Rhin – toujours selon l’Ocde – contre 64,6% en France … mais 75,5% au Japon : pas vraiment de recettes miracles !
L’Islande se classe parmi les très bons élèves en terme de taux d’emploi mais est aussi un des pays où on travaille le plus 1883 heures par an ; c’est aussi celui où le niveau d’études supérieures est le plus élevé (93% des 25-64 ans), assez loin devant la France (85%) et les Etats Unis (81,6%) : une telle avalanche de chiffres donne le tournis.
On pourrait aussi se pencher sur le taux d’emplois temporaires : 7,2% au Japon, 13,1% en Allemagne, 16,2% en France et 26,1% en Espagne.
Tous ces chiffres font le bonheur des … politiques qui en tirent toutes sortes de leçons pour expliquer la pertinence de leurs programmes et la stupidité de ceux de leurs adversaires ; et des journalistes, qui y vont de leurs commentaires et de leurs recettes miracles.
Or les leçons issues de l’étranger apparaissent difficiles à importer parce que justement elles proviennent … de l’étranger : la culture française ne ressemble pas plus à la japonaise qu’à l’américaine, voire même à … l’allemande, dont nous sommes pourtant géographiquement si proches. Quelques exemples …
Quand on prend le métro ou le train au Japon, on est frappé de la multitude d’employés qui se pressent pour nettoyer les rames, retourner les sièges dans les wagons, juste regarder que tout se passe bien aux barrières automatiques – d’où le taux d’emplois très élevé … qui n’a pas préservé la pays de la récession non plus !
En Corée, lors de la grande crise de 1997, alors que l’activité était au plus bas, non seulement les entreprises ne licenciaient pas à tour de bras, mais les salariés se rendaient tous les matins à l’heure à leur bureau où ils n’avaient pourtant rien à faire ; chez nous ils seraient descendus dans la rue pour dénoncer d’inévitables licenciements massifs …
Regarder ce qui se passe ailleurs n’est pas plus utile que d’essayer de corriger les « erreurs » du passé : cela permet de beaux discours, de belles promesses, mais mieux vaudrait-il comprendre, non pas pourquoi ça s’est passé comme ça hier, mais comment ça risque de se passer demain.
Regarder les aspirations des plus jeunes, leurs comportements ; arrêter de se dire que ceux qui arrivent sur le marché du travail présentent des comportements bizarres mais se demander comment mieux les intégrer ?
Construire le futur ne passe pas par une analyse approfondie de chiffres du passé – et dépassés – mais par la compréhension de ceux qui vont le construire, ce futur : de leurs modes de vie, de leurs aspirations, sans éternellement se référer à des normes obsolètes.