Quelques jours après une introduction en bourse saluée en fanfare par toute la presse économique – et une valorisation de 25 milliards de dollars à Wall Street, excusez du peu ! – Snapchat réussit la prouesse d’annoncer une perte monumentale de 2,2 milliards de dollars pour le seul 1er trimestre 2017.
Si l’on écarte une coquine réserve de 2 milliards pour les bonus des dirigeants suite à l’introduction en Bourse – sympa comme tout – reste une perte sèche de 200 millions pour 3 mois, face à un chiffre d’affaires de 150 ; bref des résultats en ligne avec les trimestres précédents : 170 millions de perte pour un C.A. de 166 pour la fin 2016, et des pertes trimestrielles toujours supérieures au C.A. depuis … le départ ?
Certes l’action aura dévissé de 23% à l’ouverture de Wall Street le 11 mai : mais les analystes ne pouvaient ignorer les provisions pour bonus des dirigeants, tout comme le trend hyper négatif des déficits … Alors pourquoi un tel engouement … suivi d’une telle Bérézina boursière ?
Cette histoire n’est pas sans rappeler Meerkat, la star de l’édition 2015 du prestigieux festival américain South by Southwest, qui levait 12 millions de dollars la même année, peu avant le lancement de Periscope, le concurrent made in Twitter – et que le dit Twitter ne décide de lui couper ses API : à l’époque BFM Business se moquait franchement de ce Periscope « une pâle copie de Meerkat ».
Le Prix Nobel d’économie Daniel Kahneman oppose dans son livre Système 1 / Système 2 : Les deux vitesses de la pensée, un mode de pensée rapide, instinctif et émotionnel – le Système 1 – et un autre plus lent, plus réfléchi et plus logique – le Système 2. Manifestement, économistes et financiers semblent bien privilégier leur Système 2, s’enthousiasmer pour les plus beaux mirages avant de constater qu’ils s’estompent bien vite, comme tous les mirages !
Le problème étant que « s’enthousiasmer » signifie pour les financiers … investir beaucoup d’argent – seule justification à cette façon d’agir : si on n’y va pas vite, on se fera coiffer au poteau par nos concurrents et on ratera les vraies pépites.
Aujourd’hui la presse économique se divise en deux camps : ceux qui pensent que Snapchat est condamné à disparaître à plus ou moins brève échéance – d’ailleurs, il n’a plus de stratégie claire, il va même proposer des messages permanents, totalement en contradiction avec son ADN !
Et ceux qui soutiennent qu’avec ses 166 millions d’utilisateurs quotidiens, il est devenu totalement incontournable …
Inutile d’essayer de trancher : il y a un peu plus de dix ans, nombreux glosaient sur le succès impérial d’un Second Life et sur la nécessaire prochaine faillite d’un Facebook qui perdait tout le cash que lui apportaient ses investisseurs !
Alors, créateurs de startups, réjouissez-vous, vous avez encore de beaux jours devant vous : les investisseurs ne sont pas près de vous lâcher ; seule – petite – contrainte : ne leur laissez pas le temps de réfléchir – d’utiliser leur Système 2 –, sinon ils risquent de prendre peur.
Et rappelez-vous dans les 2,2 milliards de dollars de pertes de Snapchat, il y en a 2 pour payer les bonus de ses dirigeants – dont 800 millions pour son fondateur Evan Spiegel !