Presse et réseaux sociaux : amis ou ennemis ?

5 novembre 2015

La presse et les réseaux sociaux : quelles synergies ?

La double révolution du web social et mobile n’en a pas fini de bouleverser les usages des consommateurs et la vie des organisations.

Au cœur de cette révolution, le secteur des medias, et de la presse en particulier, est confronté à de nouvelles contraintes, mais aussi de nouvelles opportunités. Comment profiter des dernières, en minimisant les premières ? Décryptage.

Depuis 10 ans maintenant – une éternité ! – les réseaux sociaux ont redéfini en profondeur les usages en termes de communication et d’accès à l’information.

Au fur et à mesure de leur croissance, ils ont généré de profonds changements de paradigme, mais aussi confirmé la validité de pratiques qui existaient bien avant le web.

Les 3 révolutions du web social

La première révolution, et c’est profondément une révolution copernicienne, est d’avoir donné une voix au citoyen-consommateur : de spectateur, il est devenu rediffuseur, , commentateur, ambassadeur ou détracteur, et de plus en plus producteur de contenus. Une part croissante des socionautes (près de 20%) a une capacité d’influenceur. De là à les doter d’un rôle de journaliste-reporter, il n’y a qu’un pas (… et on se gardera bien de le franchir). Pour autant, l’influence que cette parole a eu sur la réputation des organisations est bien réelle, en témoignent les incessants bad buzzs qui tissent l’actualité.

La 2nde révolution est celle de l’accès à l’information, devenu intrinséquement (et inconsciemment ?) gratuit. Si le phénomène n’est pas nouveau – cf. les succès de la presse gratuite – il s’est amplifié avec les réseaux sociaux, qui sont aussi, voire surtout des agrégateurs de contenus. L’essor des smartphones et du web mobile, et d’un nombre multiplié de connexions courtes pendant les temps morts que compte une journée, a encore accéléré cette fréquentation indolente, distanciée, zappeuse, de contenus d’information qu’on ne saurait plus considérer comme ayant une réelle valeur, et encore moins un prix.

La 3ème révolution, celle du big data et de la programmatique, n’en est pas vraiment une : car si cookies, pixels de tracking et algorithmes ont fait du web social et mobile leur terrain de chasse incontesté, inondant les écrans, tous les écrans,  de publicités plus ou moins ciblées et générant des investissements marketing en hausse (+175% sur les RS mobile en 2014), c’est au nom d’un principe vieux comme le monde (des médias) : celui de la bataille pour l’audience.

Quand tout est gratuit, vous êtes le produit.

C’est bien au nom de ce précepte universel que s’opère l’économie d’une très grande partie du web, y compris social et y compris sur les smartphones : contenu et fonctionnalités contre données et temps passé des utilisateurs, ces derniers étant monétisés en continu par les plateformes du RTB programmatique et les réseaux sociaux eux-mêmes.

Facebook, qui est devenu un carrefour d’audience incontournable, l’équivalent d’un TF1 en France, et le principal rival de Google, l’a bien démontré depuis les premiers pas de ses Facebook Ads : l’équation du nombre d’utilisateurs et du temps passé a doublé en 2 ans : 1037 $ de revenu généré par « friend » en Europe au 2nd trimestre 2015.

Etrangement, les autres réseaux sociaux, et Google lui-même, calquent aujourd’hui leur modèle de monétisation sur celui du réseau de Mark Zuckerberg.

Dans cette bataille pour l’audience et le temps passé en ligne, la presse est un allié nécessaire pour Facebook et les autres géants du web. Nécessaire car la seule à même de produire en continu des contenus qualitatifs et fiables, générateurs d’audience et de partage. Nécessaire, au point de développer pour ce secteur de nouvelles fonctionnalités (les fameux « Instant Articles » qui permettent maintenant de lire l’intégralité d’un article directement dans sa timeline. Nécessaire, au point même d’envisager de partager le revenu publicitaire avec les éditeurs.

Réciproquement, les éditeurs leaders savent bien ce qu’ils doivent au réseaux sociaux : jusqu’à 30% d’apport de trafic sur leurs sites, là où ils génèrent une part croissante de leurs revenus publicitaires…

La presse et les réseaux sociaux sont peut-être des alliés de circonstance, il n’en reste pas moins qu’ils sont aussi des alliés objectifs. Mais le rapport de force étant ce qu’il est, la presse doit prendre garde de ne pas passer du statut d’allié à celui très peu confortable d’otage des géants du web social.

Garder le contrôle de son lectorat

En passant du statut de plateformes communautaires à celui du carrefour d’audience publicitaire, les réseaux sociaux ont commencé à gagner de l’argent (beaucoup…), mais ont aussi perdu dans le même temps une part de leur capital sympathie et affinitaire.

Ce capital, la plupart des éditeurs, toute taille et diffusion concernées, l’ont encore. Ce qu’il manque à une grande partie d’entre eux en revanche, c’est une culture d’e-CRM poussée qui leur permettrait non seulement de garder la maitrise de leur lectorat, mais aussi d’utiliser les leviers utilisés par les réseaux sociaux eux-mêmes pour accroitre leurs audiences, leur lectorat et leurs revenus.

Le 1er levier de cette stratégie tient dans le site web du titre lui-même : au-delà des traditionnels boutons de partage, intègre-t-il des passerelles avec les APIs des réseaux sociaux qui permettraient d’en exploiter les données, comme le « social login » ? Offre-t-il une expérience différenciée pour le simple visiteur, le membre inscrit, le membre payant ? Dispose-t-il lui-même de fonctionnalités communautaires, de type réseau social interne ? Et naturellement, est-il optimisé pour une navigation sur smartphone ?

Le 2nd levier réside dans une stratégie relationnelle, visant à convertir en continu le visitorat : du visiteur anonyme au lead qualifié, du lead au client, du client à l’ambassadeur. L’emailing automatisé et segmenté (trigger email) conserve toute son efficacité dans le succès de cet objectif.

Le 3ème  levier, ce sont les réseaux sociaux eux-mêmes : aujourd’hui, c’est par un mix équilibré entre un content et un community management qualitatif, un recours tactique aux social ads et une utilisation régulière des applications (notamment celles de Facebook, qui sont des outils efficaces de lead generation) qu’on réussit à tirer le meilleur parti des réseaux sociaux pour augmenter à la fois son trafic et sa base de données.

Ni coûteux, ni complexes, ces outils  peuvent être rapidement implémentés dans l’écosystème digital des éditeurs.

Surtout, ils sont l’incarnation d’une culture customer-centric, focalisée sur le lecteur, sur la mesure des ses comportements, l’écoute de ses attentes, sur un dialogue nourri avec le titre et ses rédactions.

Et si c’était précisément dans cette (nouvelle ?) culture que réside la première révolution que la presse doit accomplir pour réussir face aux réseaux sociaux ?

 

 

Tribune initialement publiée sur Culture RP

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